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La petite maison dans la banlieue

Fluctuat nec mergitur

13 Novembre 2016, 22:18pm

Publié par lapetitemaison

Fluctuat nec mergitur

Je n'ai pas regardé à la télévision les reportages sur le 13 novembre. J'ai suivi de loin, sur Twitter (après avoir passé la journée à chercher mon portable, bien planqué sous le plaid de mon lit) les commémorations.

Paris se souvient. Nous ne souvenons. Je me souviens. Je n'ai pas allumé de bougie sur le rebord de ma fenêtre, mais à l'issue de la messe, les enfants ont réclamé d'allumer une veilleuse à Marie. J'en ai laissé deux de plus : une pour F., l'ami de mon frère. Ils étaient au Bataclan le 9 novembre pour un concert, F. y est retourné le 13. Il a survécu à ses blessures. Et une pour L., qui travaillait en CDD dans un service de ma rédaction, qui a été fauchée sur le trottoir où elle devisait avec un ami.

Depuis un an, je filtre les informations pour ne pas effrayer plus les enfants : je n'ai pas parlé de Nice – nous partions opportunément en mer le 15 juillet au matin, ils n'ont pas pu entendre la radio, ni lire des titres au vol dans la rue. Je n'arrivais pas à trouver les mots pour raconter l'inexprimable. Une fois de plus. Je ne voulais pas gâcher leur plaisir du feu d'artifice du 15 août. Ils se font déjà suffisamment peur tous seuls, par les rumeurs qui parcourent la cour de récré. J'ai parlé de l'assassinat du père Hamel parce qu'il fallait bien expliquer la présence des gendarmes devant l'église cet été. Mais tu l'attentat de Magnanville, en juin.

"Ce n'est pas prudent que tu prennes les transports en commun, Maman", m'avait dit Asparagus après les attentats de Bruxelles, en mars. Certes, mais il faut bien aller travailler. "Tu vas à un concert ? Mais aux concerts, il y a des attentats", m'a dit Nimbus en juin, quand je suis allée voir Muse à la tour Eiffel. Non, en fait, il n'y a JAMAIS d'attentat au concert. Sauf ce soir funeste. Un concert, c'est un moment de musique, de joie, d'énergie partagée. Pas un massacre à huis clos. "Et toi, tu as fait un exercice de confinement au bureau ?" m'ont-ils demandé en septembre. Non (d'ailleurs j'aimerai bien savoir comment me barrer de mon bâtiment au cas où), et c'est vrai que cela doit leur sembler étrange d'apprendre à se taire, à se planquer sous leur tables, à faire le roi du silence dans la salle de sieste pour Colombine "et la maîtresse disait à Melchior de se taire, mais il arrêtait pas de pleurer"… Sans que leurs parents ne soient pas soumis aux mêmes bizarreries. Nimbus, le jour de l'exercice, a cru que c'était pour de vrai. Et je suis sûre que ses difficultés à s'endormir depuis la rentrée ont un lien avec ces mesures de protection...

Je me surprends à être aux aguets à Paris. Dans le quartier où je travaille, je ne m'habitue pas aux patrouilles de soldats, armés, ni à me retrouver avec un canon de kalachnikov pointé vers moi au tournant d'une rue en allant chercher un sandwich. Je ne suis plus à l'aise dans la foule, je n'aime pas quand les trains sont retardés à St Lazare et que la foule se masse devant les quais. En terrasse, je regarde plus attentivement les voitures qui passent, je préfère être en deuxième rangée que vraiment au bord du trottoir (et mon excuse de la peur des pigeons, qui reste valable, camoufle un peu cette psychose). Petit à petit, la vie reprend le dessus. Fluctuat nec mergitur. Mais mon insouciance s'est bien envolée le 13 novembre dernier.

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