Au péi des merveilles/Episode 3
Quand nous avons grimpé par la plaine des Cafres pour rejoindre le Piton de la Fournaise, il faisait à peu près le même temps qu'aujourd'hui en métropole : un vrai mois d'octobre, avec arbres jaunissantes (normal, c'était l'hiver austral en mai). Pour nous distraire, nous avions branché Radio Freedom sur l'émission de Madame Aude, "Droit de parole".
Avant de monter dans la purée de pois, en redescendant de Hell Bourg (je sais, ce récit de voyage est totalement décousu), nous nous étions arrêtés visiter la distillerie de Savanna, à Bois-Rouge, une visite qui ravit le Capitaine, qui, pour une fois, n'a eu aucun mal à se lâcher dans la boutique, allez savoir pourquoi... Sans doute que pour acheter du rhum, ou de quoi faire du rhum arrangé, du sirop la cuite, goûter des petits pâtés créoles à la boutique, il était beaucoup plus détendu du portefeuille, d'un coup.
Les charlottes pour visiter la distillerie... et le casque de chantier, attention, c'est la visite d'un centre industriel ! et la chaleur humide du bord de mer, qui surprend, après le bol d'air frais d'Hell Bourg
Huuuuuuuummmmmmm, la fabrication du rhum, avec la fermentation dans des fermenteurs avec vue sur la mer...
la visite du chai (où les photos sont malheureusement interdites) et de ses alignements de tonneaux, où le rhum vieillit 3, 5, 10, 15 ans... Le temps que la part des anges s'évapore...
En fin de soirée, après un plein au petit supermarché de Bourg Murat (histoire de pouvoir réaliser cinq repas, celui du soir, les deux du lendemain et le pique nique pour monter à Cilaos), nous
nous installons aux chalets réservés par Ségo, que l'on a surnommé "chalet de M. Mac Gregor", parce que son propriétaire, barbu comme le héros de Beatrix Potter, y entretient un potager
magnifique dans lequel Peter Rabbit pourrait faire des ravages... s'il était réunionnais.
Après un dîner dans le chalet de Ségolène et Alice, nous nous couchons tôt (nous avons une chambre dans la maison). Car demain, c'est LE volcan, LA rando de l'île (et l'une des seules que nous
ferons, puisque nous voyageons avec une demoiselle de presque six mois).
Autant vous dire qu'on a la pression. La dernière rando que l'on ait faite avec le Capitaine remonte à 2005. Nous étions dans les Hautes-Pyrénées pour un week-end de 4 jours au moment où mes
grands-parents vendaient et vidaient leur maison de vacances. Le temps était compté, mais je voulais quand même emmener le Capitaine "là haut", lui qui ne connaît finalement que la montagne à
vaches suisses. Direction le lac d'Oredon, lac artificiel certes, mais chouette balade, à proximité de la toute mignonne chapelle d'Aragnouet, que je voulais lui faire également découvrir. Nous
étions partis, en bons parisiens, en shorts, chausures de montagne (randonnée spirit), avec des pulls. Ces précisions vestimentaires ont leur intérêt. L'ascension jusqu'au lac se fit sans trop de
problèmes, on envisageait même de pousser jusqu'au lac d'Aubert, quand soudain, le ciel s'obscurcit. Ce qui commençait à vouloir dire pluie. Ce fut pire : la grêle se mit à tomber. Sur nos coups
de soleil, ben oui, il y avait du vent et un peu de soleil, en fait, on avait cramé. Enfin, j'avais cramé. En mode homard. Et le grêlon sur peau rougie, c'est très douloureux. Le Capitaine avait
juste bruni, comme d'hab. Malgré un sprint pour rejoindre le parking, nous étions trempé comme des soupes quand nous sommes allés nous abriter dans la maison de l'office de tourisme. Où s'étaient
déjà réfugiée toute une colonie de vacances. Mais il fallut ressortir sous le déluge : l'électricité avait sauté et la tenancière de la maison redescendait à Saint-Lary. Sans pouvoir nous prendre
en stop. Heureusement, une voiture compatissante s'arrêta et nous redéposa à notre véhicule. Il va sans dire que notre mésaventure fit mourir de rire les anciens, et Solange, une amie de ma
grand-mère, nous offrit en souvenir une photo du fameux lac, qui est depuis accrochée dans notre cuisine.
Bref. Pour le piton, on avait des pulls, des écharpes, et surtout, surtout, des PONCHOS. Achetés les yeux de la tête chez une grande enseigne (dont le nom commence par un D comme d'équipements sportifs). On avait fait provision de fruits secs et de chocolats. A 6 heures du mat, réveil. Je commence par louper la marche en bas de l'escalier (il avait plu toute la nuit). Mais on part quand même.
On suit scrupuleusement l'azimuth de madame Mc Gregor ("tournez à droite à la maison avec le paille en queue bleu, prenez à droite sur la grande route et suivez les panneaux "Volcan"), en bas de la route qui mène au pas de Bellecombe, on voit un petit monsieur au bord de la route. Comme on a parfois remercié le ciel de nous envoyer une voiture (remember Oredon), on le prend en stop. Nous l'appellerons Chen, car bien qu'il vienne du Vietnam pour quinze jours à La Réunion, il a une tête de mandarin chinois, barbiche comprise. Chen est un autostoppeur hyper poli, qui s'excuse de ne pas avoir son permis (en même temps, il y a quasiment 30 bornes jusqu'au début de la balade). Qui s'extasie devant le paysage, magnifique. Et profite quand même de ce que je prenne des photos (il n'aurait jamais demandé au chauffeur de s'arrêter) : "je ne suis pas très photos". Pour en prendre autant que moi ! Et la route est juste...
Splendide. Une sorte de premier matin du monde sur une petite Suisse. Les vaches ne vont d'ailleurs pas tarder à surgir, à la stupéfaction de Chen :
"Des vaches ?!? A cette altitude ?!?! Des moutons, je veux bien, mais des vaches..."
LA vache. Qui déboule tranquillou devant la voiture.
"Oh, encore un piton ! Il y a des pitons partout ici !"
Paysage lunaire de la plaine des Sables...
Et la fameuse piste, traversant la plaine des Sables, qui rejoint le début du sentier. Qu'on nous avait présentée comme étant une longue série de nids de poule. Elle vient sans doute d'être remise en état : à part un ou deux nids de poule (pour le côté piste), c'est hyper confortable. Chen est d'ailleurs hyper impressionné, depuis que nous cheminons ensemble, par la qualité de la route forestière, puis de la piste.
Ensuite, les choses sérieuses commencent. D'abord, on ne prendra pas de petit-déjeuner. Pas pour se faire un plan détox-randonnée de ouf, non, tout simplement parce que le snack est... fermé.
Mais bon, le volcan est au bout du chemin, et on a une revanche à prendre.
Au premier arc-en-ciel, on trouve cela magique, et puis, c'est bien, au moins on s'est pas trimballé les ponchos pour rien. Ce que l'on ignore, c'est que la montée (heureusement d'un niveau tout
à fait correct et accessible) va se faire sous une pluie plus ou moins fine, avec des sortes d'éclaircie. Mais qu'au final, on ne verra rien du fameux cratère.
Au moins laissera-t-on sa petite pierre sur ces sortes de petits autels laissés par les randonneurs. Le retour s'effectue dans un crachin qui laisse à peine une visibilité à un mètre. Et comme
nous ne sommes pas les seuls à arborer un magnifique poncho de chez D, gare à ne pas se tromper de point de repère, et à bien suivre les petits points blancs : tous les ans, des randonneurs
s'égarent et pour certains, cela finit très mal.
On se serait presque cogné contre la paroi (qui paraît alors outrageusement verte après 3 h 30 dans un environnement basaltique) et les escaliers qui mènent au parking. Ce sera la partie la plus
pénible de la randonnée. Mais en revenant vers le 27e km (nom du village qui se trouve... au 27e km), nous serons récompensé par les paysages d'un vert électrique, luxuriant, suissesques... La
prochaine fois, on viendra voir le Piton d'en haut : les hélicos ne décollent que si le temps est dégagé...