A la dérive

Avant le 13 mars, le temps était organisé, planifié, découpé en plages horaires bien définies, parfois des mois à l'avance. J'ai un agenda (papier), où je notais le planning de tout le monde, plus le mien, et pleins de rappels dans mon téléphone pour ne rien oublier. 

Depuis le 11 mai, timidement, l'agenda se remplit à nouveau. Mais a posteriori. J'ai un mal de chien à me projeter, à planifier, les ponts de mai et mes jours de récup décalés des jours fériés, travaillés, n'aident pas à garder une vision claire du planning. D'où un bon pour un sweat (à sa demande) pour les 13 ans d'Asparagus, un anniversaire surprise monté à la dernière minute pour la quarantaine du Capitaine. Des amis s'invitent le samedi et c'est très bien ainsi.

Depuis le 12 mai, l'école a repris pour Nimbus et Colombine, à la plus grande joie de celle-ci, qui retrouve sa maîtresse, UNE amie et six garçons dont son ennemi juré. L'enthousiasme de Nimbus est plus modéré : sa classe a été répartie dans les autres parce que la remplaçante faisait partie des personnes fragiles, il ne croise aucun copain à par un ou deux (les autres vont en classe les lundis ou jeudis ou ont pris la poudre d'escampette dans divers endroits que nous regrouperons sous le vocable bien vague et fourre-tout de "campaaaaaaaaagne"), mais il a l'air d'apprécier sa 3e  maîtresse de l'année et de refaire cours en classe. 

Les lundis et jeudis soirs, vers 19 heures, la panique s'installe : avons-nous assez de pain pour les pique-nique du lendemain ? Et d'ailleurs, que mettre dans ces pique-nique ? Faut-il un petit goûter pour la récré de 11 heures ? Et qui ira chercher les loulous à 16 h 15 ? Les laisse-t-on rentrer en bus en autonomie ? Qui a sport ? Colombine ou Nimbus ? Et les masques, n'oubliez pas votre masque !

Alors que nous sommes ravis de les voir reprendre le chemin de l'école (et de faire une pause dans la continuité pédagogique), nous trouvons tous horrible de nous réveiller à nouveau à 7 heures du matin (ça pique) et c'est avec soulagement les lundis, mercredis et jeudis matin que nous goûtons à nouveau au rythme de la cabane, sans stress du départ du matin (le lever s'étalant selon les uns et les autres, jusqu'à 9 heures), ni des bouchons sur la route ou des problèmes dans les transports.

Mardi, c'est faste : nous nous retrouvons en tête-à-tête avec Asparagus, le Capitaine reprenant lui aussi le chemin du bureau. Après trois mois à partager des pièces contigües, ses conf calls me manquent presque. Cela faisait un bruit de fond rassurant, l'après-midi du mardi passe moins vite maintenant. A midi, nous filons chercher une pizza, pour soutenir le commerce de proximité (surtout parce que nous avons la flemme de finir les restes et parce que les pizzas de Maurizio sont trop bonnes).

Mercredi, à 13 h 30, quand le visage de l'ergothérapeute s'affiche via Facetime sur mon écran de téléphone alors que je bois tranquillement mon café au soleil, je vais chercher Nimbus, son ardoise et son feutre (enfin sa feuille de papier, car le confinement aura au moins permis à la rééducation de sa dysgraphie de faire des bonds de géant) pour sa séance. Nous faisons ensuite un petit bilan de la semaine, ce qui a été précieux quand, pendant le confinement, les contacts avec l'école se sont surtout limités à des bombardements de mails presque quotidiens. 

Vendredi soir, nous avons gardé notre rituel du film devant la télé du confinement : la conclusion de la semaine, très attendue par les enfants (le choix du film occupant les conversations dès le mercredi, le samedi se passant à une critique globale du film, analyse, réinterprétation des chefs-d'oeuvre du 7e art visionnés la veille). Il n'est pas simple de trouver un film qui convienne de 7 à 13 ans, mais depuis dix semaines, nous y sommes arrivés (en limitant les de Funès, déjà vus l'été chez les grands-parents). Pop corn, pizzas, brushettas, croque-monsieurs... La cuisine qui accompagne nos home cinemas est inventive et surtout équilibrée ! Nous l'arrosons d'une grenadine, d'un Virgin mojito ou d'un mojito-tout-court, laissant un moment les rendez-vous médicaux à caler, les vacances des uns et des autres à organiser, la rentrée de septembre qu'il faut bien commencer à imaginer... Tiens, où mon agenda a-t-il bien pu passer ?