La guerre des écrans

A la rentrée, sur la liste des fournitures du collège d'Asparagus, était demandé une tablette. Enfin, c'était pas aussi clair que ça, mais en gros, fortement recommandé. Comme ça, les cartables seraient moins lourds, et puis cela permettrait d'utiliser des applications à but pédagogique. 

Sur le principe, on était pas totalement contre. Nous avions, jusqu'ici, volontairement limité les écrans à la maison. Sachant que nous avons chacun un ordinateur portable, et qu'il y a bien un ou deux serveurs d'installés dans le bureau du Capitaine. Plus un autre ordinateur pour le logiciel de cartes marines en régate… 

Nous avions cessé de regarder la télé en arrivant dans cette maison. Nous ne l'avions plus dans notre chambre comme à Paris, et puis, très vite, nous n'avions plus le temps le soir de la regarder, nous loupions systématiquement le début des films et émissions. Ce qui a coïncidé avec le boom des séries (et du streaming, hum, hum), consommables à volonté et à n'importe quelle heure. Nous avons rendu notre box mais gardé un lecteur de DVD et un écran pour les pauvres enfants. Qui regardent finalement beaucoup plus la télé chez leurs grands-parents (on vous voit).

Pas de consoles ni de jeux vidéos (on est pas vraiment des gamers). Ni de game boys… Pas de téléphone portable pour les enfants (nous avons encore l'abonnement fixe). En fait, on habite pas dans une maison, mais dans une grotte #famille Pierrafeu. Nos enfants ont d'ailleurs beaucoup de mal avec la notion de direct à la télé, tant ils sont habitués à regarder des DVD et des replay… Tout ne peut pas être mis sur pause !

Alors, l'arrivée de la tablette, on savait que cela serait compliqué. Malgré une tour de contrôle – aka Google link – permettant de mesurer le temps d'écran de l'enfant et sa répartition (entre jeux, mails, recherches d'information), c'est la guerre du temps en permanence.

Et quelle est l'appli gagnante ? Pas Kwyk, l'appli d'exos de maths et de français… Mais celle de Fifa, ou Asparagus#92 joue en réseau au sein de sa ligue de louveteaux. 

Asparagus a développé toutes sortes de ruses (confirmant là son intelligence, ce qui est rassurant) pour gagner du temps, que nous limitons en semaine (30 min par jour max) et le week-end (1 heure par jour).

Bizarrement il n'a jamais assez de temps pour ses recherches d'infos ou bien pour envoyer des mails-hyper-urgents à son tuteur de Terminale (un simple contrôle de la consommation t'apprend qu'il a tout cramé avec Fifa).

Sans compter que Nimbus, l'air de rien, connaît lui aussi le mot de passe de la tablette et arrivait à utiliser le temps avant son frère en loucedé. Depuis qu'Asparagus a installé la reconnaissance faciale sur sa tablette, ce n'est plus le cas. 

Il l'avait embarquée à notre insu pendant les vacances de Noël, en la dissimulant dans une serviette de plage dans le sac qui passait en soute. Il allait la faire recharger dans la chambre d'hôtel de sa grand-mère, "parce qu'il n'y avait pas de prise dans sa chambre". Voilà pourquoi ils étaient si tranquilles le matin… 

Il avait même réussi à emprunter le téléphone de son père pour utiliser la calculatrice pour ses exos de maths - la sienne étant restée au collège - et augmenter, par la même occasion, son temps journalier de 2 heures. Pile au moment où je faisais la démonstration à mes amies de cette appli-tour de contrôle tellement géniale et… quoi ?! 2 h 47 sur Fifa ?!

Moyennant quoi, entre les moments où la tablette est confisquée, et ceux où elle est immobilisée parce que l'écran est cassé (en septembre et à nouveau cette semaine), finalement, son utilisation est assez réduite.

Et en classe, si elle allège effectivement les cartables, elle donne lieu, chez les condisciples d'Asparagus munis de smartphones, à divers détournements - du potache jouer au jeu du dinosaure sur google quand la tablette n'est pas connectée au wifi ou chatter en bluetooth à plusieurs en cours jusque, plus embêtant à 11 ans, au visionnage de films X grâce au partage du wifi des smartphones sur la tablette "nan mais c'est pas nous, c'est les 6e 3."

Alors oui, nous aurions pu en faire l'économie et installer les applis pédagogiques sur l'un de nos ordinateurs, puisque les livres sont toujours fournis en papier. Mais il est sûr que l'arrivée de la tablette a évacué le débat autour du smartphone, et au vu des mouchards – via le partage de position de Google maps – installés sur les téléphones de certains condisciples d'Asparagus, je suis assez contente de ne pas me battre aussi sur un deuxième fond d'écran. Je n'ai pas envie de vérifier qu'à 21 h, le téléphone est bien éteint, que les groupes Whatsapp ne sont pas malveillants ou harceleurs - j'ai déjà fort à faire avec les groupes Whatsapp des parents d'élèves pour la maternelle et le CM1, j'ai séché celui des parents de 6e.

Je n'ai pas envie de contrôler la liberté de mouvements d'Asparagus avec son téléphone, car autrement, comment faire l'apprentissage de sa liberté et de la confiance, comment apprendre à se déplacer seul et à se débrouiller ? Car le plus drôle, c'est qu'Asparagus n'a toujours pas compris qu'il ne servait à rien de mentir sur l'utilisation de sa tablette puisque nous pouvons savoir (et je ne regarde pas tous les jours) exactement ce qu'il en fait…

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